L’Empire et le Royaume
« Le Royaume est ici mais nous n’en savons rien. Le Royaume est cet unique globe d’azur sous la voûte duquel nous vivons et mourons, mais nous l’ignorons encore. Nous n’avons pas pour le retrouver, à explorer cette roue d’astres qui lentement se meut au-dessus de nos têtes, nous n’avons même pas à le construire car il est là : toujours déjà donné, gracieusement accordé, d’aucun temps ni d’aucun pays mais pouvant partout surgir dès qu’un homme rencontre sa parole et dès qu’une parole rencontre son lieu. Nous avons tous eu l’intuition de sa présence, mais jamais encore nous n’avons su l’aborder. Et quand, par malheur, nous prétendions l’édifier, nous ne faisions qu’instituer l’Empire. Son rêve cependant, depuis le fond des âges, nous hante et nous inspire ; son désir nous accompagne durant l’errance et sous la tente étoilée : son rêve et son désir ont fait l’histoire. L’histoire n’est que la longue succession des tentatives des hommes pour conquérir le ciel, pour établir le Royaume dans l’ici et le maintenant. Chaque peuple à son tour s’est jeté dans cette aventure fabuleuse, chaque peuple à son tour a régné sur le monde avant de décliner. Car le Royaume n’appartient à personne, il ne peut être conquis ni par la violence, ni par la sagesse ; il ne peut être que donné ou perdu, accordé ou repris. Le Royaume n’est aucune utopie. L’erreur de l’utopie n’est pas d’avoir voulu combattre le malheur mais d’avoir voulu l’exterminer. Ce faisant, elle l’a répandu partout, contaminant les sources même de la joie. Le malheur ne peut être supprimé car il est l’incompréhensible, la lumière secrète à laquelle fleurit ou se fane toute joie. Si le soleil chaque soir ne replongeait dans l’informe de la nuit, ne se ressourçait aux forces de chaos et de destruction, il ne pourrait jaillir à l’aube aussi neuf et aussi radieux. Si la terre, à chaque crépuscule, ne se refermait sur son antre de noirceur et d’épouvante, elle ne pourrait pousser au matin ses fleurs éclatantes qui, elles aussi, sont filles de la nuit. C’est pourquoi le Royaume n’est pas le lieu de l’absence du malheur : il n’est aucune citadelle préservée dans le ciel ou sur la terre. Le Royaume est l’invisible plan où jouent, combattent et s’épousent détresse et bonheur – l’ajointement secret de toute horreur et de toute merveille. »
Avec L’Empire et le Royaume se poursuit la méditation commencée dans L’Europe et la Profondeur et le Traité du Même, ouvrages parus aux éditions Loubatières en 2007 et 2009. Un quatrième tome, Le Voyage des morts, est en préparation.
auteur : Pierre Le Coz
Essai – broché – 14 x 21 cm – 832 pages – février 2010 – 29 euros
ISBN 978-2-86266-608-2
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